Florence Kiss

Florence Kiss

- Je suis née dans une plaine. Au centre de cette plaine, s'élevait une montagne, elle était si haute que même par temps clair, on ne pouvait voir son sommet. Les gens de la plaine naissaient, travaillaient, mouraient à ses pieds, sans jamais la regarder. Pour moi, elle était l'image de l'idéal, l'autre vérité, la connaissance, la spiritualité. Plus j'imaginais son sommet, plus la plaine me paraissait fade, les gens grossiers, repus de rien...
Un jour, je me suis approchée d'elle, j'ai touché sa nudité simple, je l'ai étreinte comme ma mère, puis je me suis hissée. D'abord mon ascension fut rapide, mes pensées étaient accaparées par cette furieuse envie de fuir que je n'aurai su justifier. Ce n'est que hors d'atteinte que je sentis ma crainte, mêlée de doute, virer au remords. Mon imagination me diffusait des images de souffrance et de mort. Ma faiblesse, frivole, implorait un courage encore timide. C'est alors que les gens de la plaine me virent. Ils s'approchèrent de la montagne, affolés. Debout, face au vide, je savourais ma hauteur, eux étaient petits et vulnérables. J'entendis mon père m'appeler, ma mère sanglotait parce qu'il le fallait. J'hésitais encore, l'abandon avait le goût amer de l'échec, la confrontation avec les miens m'effrayait plus que la montagne que je sentais juste et vraie. Je subissais impuissante cette dualité. Mon incertitude était la dernière défense d'une éducation basée sur des principes pessimistes et mesquins, où tout achèvement était moyen ou médiocre, mais jamais bien. Cette fuite était la conséquence, la révolte contre ces principes obscurs, absents de réussite vers ce sommet qui symbolisait à mes yeux la perfection.

Après bien des années en quête du sommet que je n'ai jamais pu atteindre, le monde m'est apparu comme un placard et je ne savais dans quel tiroir entrer.
Je suis retournée dans la plaine, bien qu'elle soit sans substance, c'était mon tiroir. Dans ce tiroir, j'ai trouvé un autre refuge, celui de l'art. Je me suis versée dans la musique, l'écriture, la peinture. J'exprimais en notes, en couleurs, en mots, toutes mes passions, toutes mes peines, toutes mes frustrations, c'était mon exutoire. C'est dans ces expressions que j'ai trouvé ce à quoi j'aspirais. Je me suis créé un monde où tous les Hommes escaladaient la montagne et atteignaient le sommet. Ai-je réussi? Ai-je échoué? Cela n'a aucune importance. L'important est que dans cet isolement créatif, j'ai oublié mes angoisses et découvert la joie.

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