Fadel sculpteur. La naissance des séries
La naissance des séries nous aide à saisir les attentions et le sens des gestes du
sculpteur-soudeur. Les séries nous aident à méditer le temps de leur création, à
peser le poids du métal et des objets dans les mains de Fadel ; elles nous aident
à rencontrer son regard sur des formes et sur des lignes, aléatoires, pas
seulement. Les assemblages, les rencontres ne sont jamais fortuits puisqu’ils
mettent à jour des lois d’engendrement.
Des silhouettes sont en expansion dans l’espace grâce à leurs queues, cornes,
pattes qui leur donnent des identités ou du mystère. Des volumes sont en
mouvement pour dire une histoire. Des figures ricanent de leur supercherie :
la poêle se moque de sa binette, la hachette prend le large avec la lame du
couteau, la pelle fait les gros yeux avec l’engrenage qui traînait...le blessé des
mines anti-personnel vient vers nous grâce au pied du cordonnier…
Mais c’est Fadel qui parle.
« A la base, il faut faire une histoire que la sculpture va raconter ; il y a une
recherche.
Dans les assemblages, je mets une idée, parfois ça marche, ou pas ; je la
valorise, le reste de l’histoire vient. L’outil a donné le corps, la base. L’histoire
commence vraiment quand il y a la tête sur le corps. La deuxième étape c’est
les yeux. Et puis j’avance, j’assemble, j’inverse… Il y a des lignes, des
mouvements. Ici il a fallu tordre la poignée du sécateur. Le sens prend forme, la
sculpture trouve un équilibre, voire de la légèreté. Il y a des rencontres de
figures, des oppositions, c’est la direction des courbes qui les expriment. Alors,
je peux faire une scène, je « m’embauche » dans le mélange pour trouver le
résultat. Il y a une présence. Je mets du théâtre. A un moment on dit : « on
arrête là. » Il y a le mariage entre la tête, le regard, le mouvement. Les histoires
arrivent par le travail. Je me demande parfois comment ça va finir ? Il faut
trouver les accords, les lignes…Il faut laisser les objets commander, sinon la
création n’est pas libre. Cela apprend aussi à rester modeste, c’est la sculpture
qui commande si elle est finie, solide, en équilibre et qu’elle raconte ce qu’il
faut…
70°/° des objets sont des outils agricoles, fourches, socs, hâches, serpes,
sécateurs…ça a du sens, il y a la terre, la récolte, la vie. Les figures sont
siamoises, entre humains et animaux ; les sculptures ouvrent à des histoires.
La récupération, c’est un avantage, il n’y a jamais la même pièce, c‘est l’outil
qui donne l’idée d’une autre sculpture, d’une création. On a toujours faim de
ferraille, de pièces déjà forgées, jolies. J’admire. »
Fadel évoque aussi cette étape de finition où il frotte, meule, ponce, patine,
ménage des traces, vernit. Les brillances vont faire jouer la lumière, animer,
unifier l’ensemble, donner vie.
L’une de nous, présente ce jour-là parlera de la légèreté des sculptures et de
leur poésie.
Sur ce point, il faudrait aller à la rencontre de Fadel pour partager avec lui sur
notre imaginaire et celui qui est le sien.
Car il y a une histoire que Fadel raconte malgré lui, la nôtre, celle de l’accueil
que nous réservons à son histoire, celle dont témoigne la carte des dépôts
divers de la ferraille de récupération dans la région, celle de l’ère des outils
divers qu’il a rassemblés et répartis dans ce petit peuple imaginaire de ses
sculptures.
Nouvelle histoire à la fois dérisoire et grave, elle porte la pesanteur d’un
homme et nos capacités d’interpréter l’œuvre des autres et parfois de les
comprendre.
R.D.
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