Joachim Younès

JOACHIM YOUNÈS VU PAR SES CONTEMPORAINS

Son existence qui sera chargée d'œuvres et d'années commence avec une enfance voyageuse et une adolescence studieuse. Joachim Younès suit les cours de la pension de l'O.S.E. (Œuvre de Secours aux Enfants) dans un internat nommé « Château de Vaucelle », situé en France, dans le Val d'Oise

Mais aux études exactes s'associe le rêve. Attristées par les dissentiments entre ses parents, suivent des années laborieuses, des années orageuses, parfois mêmes troubles. Dans l'impasse, il n'hésite pas à se faire ouvrir les portes de l'autorité présidentielle pour faire appel et négocier.

Plus tard, il se range auprès de l'Action Humanitaire. Il est l'explorateur de tout monde, « visionnaire, philosophe qui s'ignore, mystique agnostique, aliéné libre, cardiaque ressuscité. Et partout, en tout lieu, Chevalier. Chevalier de la route, des animaux, de la Nature, de la Vie. Sauveur et protecteur et aussi pourfendeur purificateur, implacable combattant qui peut jeter le feu de la destruction quand la réalité s'ampoule et s'alourdit… », comme le rappelle le musicien Jean-Louis Aubert dans la préface du récit et poésie « Les Lumières de l'Ombre ».

Il passe une brève période de sa vie à exalter ses talents de bon rêveur auprès de quelques musiciens de son temps. Il les juge vite trop intelligents. Cherchant lui-même à mortifier son âme de sa propre intelligence, il quitte leur monde et entame aussitôt une course incessante à la recherche de nouveaux horizons. Dans ce périple, seuls ses camarades Jean-Louis Aubert et Alban Collombet l'accompagnent. Ils sont les amis musiciens, nobles véhicules de la grâce dont Jean-Jacques (Joachim) Younès a besoin pour enfin exprimer toute sa claire voyance.
De l'agitation d'idées qui précède le nouveau siècle, ne retentissent dans l'esprit de l'auteur que les questions philosophiques, religieuses et poétiques. A ce moment-là, il est le plus apte à se mettre en contact avec les forces de la vie universelle. Les visions de l'humanité en marche depuis ses origines jaillissent dans son esprit. Sans fortune, mais robuste, courageux et pur, il suit énergiquement sa vocation, soutenu par ses deux compagnons. Il travaille sans relâche sur ce qui va devenir une œuvre : « Les Lumières de l'Ombre », un plaidoyer contre l'enfermement, aboutissant à une prise de conscience éclatante. Dans son cœur, il dédie cet ouvrage à son frère Éric Younès disparu tragiquement en automne 1997.

Sa gloire de jeune conquérant s'affirme brusquement. Dans les deux premières semaines du mois de février 1999, l'auteur des « Lumières de l'Ombre » s'assure la direction du mouvement Romantique contemporain, la suprématie en poésie contemporaine. Avec l'édition définitive de cet ouvrage, le directeur littéraire des éditions des Écrivains, Monsieur Sébastien Brancq, place l'auteur au premier rang de son catalogue.

L'auteur est plébiscité par la critique littéraire avertie, et reçu par l'ancien Ministre de la Culture, Monsieur Jack Lang. Parallèlement, on tourne le dos à l'auteur, les ennemis se déclarent et discutent la pensée de l'auteur. Joachim Younès n'est pas toujours égal à son Art, les passions qui bouleversent son existence, son Amour, les différentes Actions Humanitaires qu'il aime à mener comme un combat semblent prendre le dessus sur la polémique qui s'installe sournoisement autour de l'auteur. Mais très vite, le verbe de cet ouvrage écrase ses détracteurs, très vite la pensée directive qui le conjugue ravit bon nombre de lecteurs et littéraires, et suffit à faire taire l'ennemi.

À ce jour, sans accentuer le regret ni l'orgueil, l'auteur des « Lumières de l'Ombre » et des « Dernières Gorgées de Campagne » n'écrit plus de poésie. Ce « poète malgré lui » qui a connu l'Amour comme personne ici-bas, sait aujourd'hui se suffire, dédaigne une gloire offerte, délaisse une popularité dont il se passe fort bien, abandonne des richesses dont il ignore le compte. Il emporte avec lui ses secrets pour nos rêves. Mais laisse malgré tout derrière lui une œuvre poétique qui vient enrichir notre patrimoine littéraire.
On peut comprendre que d'estimer vouloir prolonger l'espoir d'une œuvre de maturité, quelle qu'elle soit, nuise à l'interprétation exacte d'une aventure unique: celle d'un Soldat de l'Univers trop précocement touché, et impétueusement par l'aile littéraire, qui, avant le temps presque d'exister, épuisa d'orageuses fatalités, sans recours à du futur.

L'adieu total au monde de la poésie, à l'Occident littéraire, aux climat et usages que l'auteur juge irrévérencieux est sans doute l'une des dernières de ses grandes signatures. Le poète s'est toujours refusé à ce renom d'artiste que l'on lui sollicite, et se défend de jeter un regard d'envie sur ce passé littéraire grandi pendant son absence. Ne cherchons pas à comprendre, comprendre est le plus souvent en art un jeu puéril et naïf, l'aveu d'une sensibilité ralentie, la revanche intellectuelle du littéraire, du lecteur affligé dans l'anesthésie artistique. Il faut avouer que Joachim Younès, visant toujours au grand, a pris l'énorme pour le sublime, et a été extravagant avec sérénité. Mais, hormis ce vice essentiel de son tempérament, il est l'artiste le plus conscient, le plus sûr de lui. Son exécution n'a jamais trahi sa conception. N'a-t-il pas écrit dans la plus récente période de sa vie ?

Le sort, l'avertissement au rôle qu'il est accompli, sans doute afin qu'il ne vacille pas en trop de perplexité, lui trancha ce pied qui s'était posé sur son sol natal étranger. Une pareille destinée, une personnalité aussi dominatrice, une telle œuvre devait logiquement susciter de vives polémiques et jugements absolus à son égard. L'anecdote à bon marché ne manque pas, le fil rompu d'une existence en laissa choir les critiques dans les très rares manifestations littéraires où l'auteur était convié: loin des salons pleins de jacassements de basse-cour, lui préféra à l'occasion parler haut pour son compte, dans ses solitudes ordonnées en fragments intelligibles et probables.
Pour traduire la vie, il lui restait de pousser ses limites à ce genre de méfait. Il apprit à concevoir les vents, les panoramas champêtres, les empires du monde et ses acteurs, à lire les secrets de l'Univers enfouis dans les plus profonds replis de l'âme, à concevoir l'illusion des siècles et des minutes « La pendule, étonnante réalisation d'hypothèse, qui continue, quand son propriétaire n'est plus là, à calculer une quantité qui n'a de réalité qu'en présence de lui. »

Joachim Younès aimait à scander mentalement, au bruit rythmé de nos tramways, les poèmes de ses contemporains qui faisaient bon marché. Il a su s'émerveiller de tout et de mille manières, cette façon orientale d'écrire « Les îles ». Jamais il ne se lassait d'un décor, varié sans cesse par les différentes méthodes de contemplation qu'il possédait. Le poète n'arrivera jamais à surpasser l'œuvre qu'il nous a donnée. Nous avons la certitude qu'il a maintenant accompli dans le cercle de la pensée poétique une voie nouvelle. Nous avions la poésie du mouvement, il a trouvé celle de l'image, et l'image, il l'a passionnée. Il a exprimé avec l'indispensable obscurité ce qui est obscur et confusément révélé.

L'auteur des « Lumières de l'Ombre » et des « Dernières Gorgées de Campagne » reste chez nous l'un des rares écrivains qui ait touché et qui touchera encore le cœur des masses, avec sa plume de philosophe dont nous ne serions pas étonnés que Vigny en eût été jaloux. Il est parfois aussi mélodieux que Lamartine, aussi ténébreux que son frère de lettres, Rimbaud.

Le Romantisme qui provenait de la bouche au pli boudeur et narquois de l'enfant du peuple deviendra certainement l'œuvre qui s'estompera le moins au cours de nos prochains siècles littéraires. Joachim Younès vient de renoncer à l'Amour des mots pour l'Amour des idées.

Bruno Meige
Le Contemporain
Rome, 20 mai 2000