Résumé
Ne s'est jamais vu reprocher de manquer de distance, ne s'est jamais vu recommander de se blinder celui qui n'a jamais travaillé au plus proche de personnes en souffrance. Et ces injonctions, sommations et autres mises en garde émanent précisément de ceux dont le statut et la fonction les tiennent éloignés des personnes accueillies ; gardiens de la bonne et juste distance, ils arguënt du professionnalisme pour rappeler à l'ordre les personnels qui rompraient avec la bonne attitude professionnelle dans une acception technicienne, qualifiée, totalement maîtrisée, non parasitée par des interférences affectives propres à mettre en péril un équilibre institutionnel par la crainte qu'elles inspireraient de ne pouvoir être contenues.
Or, des travailleurs sociaux, dans l'exercice de leur profession, basculent parfois dans un régime de compassion, ou régime d'interpellation éthique dans le face-à-face et la proximité des corps. Ce modèle sociologique, mis à l'épreuve dans cette recherche, se proposera ni de dénoncer, ni de célébrer, mais de montrer la compassion à l'??uvre, de rendre compte, en situation, de ce mode particulier d'engagement dans l'action et, ainsi, le faire sortir de l'invisibilité en vue d'un enrichissement qualitatif du savoir professionnel.
Antiprofessionnelle la compassion ? Contrairement à ce qui peut être couramment avancé en référence à bonne distance et au professionnalisme et en ce qu'elle leur serait contraire, la compassion serait-elle intéressante à assumer en tant que régime d'action permettant d'être juste, dans des situations particulières ? d'être considérée comme une compétence morale du professionnel ouvrant des enjeux en termes de reconnaissance et de valorisation de ce travail, invisible, propre au souci de l'autre ? Très probablement, mais à la condition qu'elle ait, via la réflexion éthique, été réintégrée par la profession dans un ensemble plus vaste d'activités dites de care. Dans ce mémoire de Diplôme supérieur en travail social (DSTS), il ne s'agira pas d'adopter une posture normative en prétendant que la compassion serait indispensable à la professionnalité du travailleur social, mais de ne pas nier non plus qu'elle puisse être considérée comme l'un de ses savoir-faire (ou savoir-y-faire) pour autant qu'il sache et puisse la reconstruire avec et pour la profession. On ne serait dès lors pas moins professionnel à être engagé dans certaines situations selon les termes de cette logique, à condition que l'on ait l'équipement nécessaire.